lundi 26 mars 2018
jeudi 22 mars 2018
Tenus en laisse par les puissants
M. Philippe Jachnik, consultant pour l'interprofessionnelle laitière française en Allemagne, nous a traduit un article paru dans l'hebdomadaire "Die Zeit" en date du 15 mars dernier et traitant de la toute puissance de la grande distribution.
Les problématiques sont bien souvent similaires de part et d'autre du Rhin.
EDEKA, LIDL & CO FONT PRESSION SUR LES FOURNISSEURS.
LA DICTATURE DES PRIX DES GRANDES ENSEIGNES DE LA DISTRIBUTION DESESPERE LES FABRICANTS DE PRODUITS DE MARQUES, LES PETITS FOURNISSEURS ET LES AGRICULTEURS
Cela
sonnait éthique et social ce que disait alors le Ministre fédéral de
l’Economie. Il voulait pérenniser 15000 emplois, c’est ce qu’expliquait, encore
et encore, Sigmar Gabriel en 2016. Il s’agit de « gens qui ne gagnent pas
beaucoup et qui, en tout état de cause, n’ont pas une vie facile ». Le
politicien SPD s’est alors mis en travers d’une décision de l’Office allemand
des Cartels (Bundeskartellamt) qui interdisait la reprise de la Chaîne de supermarchés
Kaiser’s Tengelmann par son concurrent Edeka. Edeka était déjà à l’époque le
plus important des distributeurs en Allemagne et les gardiens de la concurrence
craignaient que cette opération ne lui confère trop de puissance.
Plus
d’un an après, on commence à voir qui paie le prix de cette décision de
Gabriel. Ce sont les fournisseurs du géant de la Distribution car celui-ci joue
sans retenue de sa puissance de marché accrue.
La
première manifestation en remonte au 29 décembre 2016, quelques semaines seulement
après le feu vert ministériel de Gabriel. Le distributeur a, ce jour-là,
adressé un courrier de trois pages à chacun de ses fournisseurs. Dans celui-ci
il leur apprenait que les prix et conditions qu’ils avaient conclus avec Edeka
s’appliquaient dorénavant aussi à Kaiser’s Tengelmann et que ce qui avait été
conclu avec ce dernier était, avec effet immédiat, caduc. Ce n’était pas une
proposition. C’était une affirmation. Et, depuis, cela s’est poursuivi dans le
même style.
Les
fournisseurs, en particulier les fabricants de produits alimentaires, subissent
depuis longtemps en Allemagne une forte pression et le cas Edeka l’a fortement
accrue. Ces entreprises n’ont plus qu’un nombre très limité d’enseignes de la
distribution comme clients, ce que ces dernières utilisent pour exiger des
baisses de prix, les unes après les autres. La lettre d’Edeka aux fournisseurs
n’est qu’un exemple, parmi d’autres, des méthodes brutales que les acheteurs de
la Distribution imposent aux fabricants de charcuterie, à ceux de biscuits et
aux agriculteurs.
Le cas Kaiser’s Tengelmann ne fut
que le plus récent Acte d’une longue série de reprises
Les
supermarchés menacent les fournisseurs de déréférencement de leurs produits
s’ils n’acceptent pas les conditions qu’ils leur imposent. C’est ce que
prouvent des entretiens de Die Zeit avec des Dirigeants, des Vendeurs et des
Consultants de la Branche dont la plupart, par crainte de représailles, ont
exigé de rester anonymes.
C’est,
par exemple, le cas du premier des vendeurs de l’un des principaux fabricants
allemands de produits alimentaires que l’on nommera, pour l’occasion, Markus
Schulz. L’entreprise de Schulz a, en son temps, elle aussi reçu le courrier
d’Edeka suite à sa reprise de Kaiser’s Tengelmann. Ce fut une mauvaise nouvelle
pour son entreprise. Les revenus de l’entreprise diminuèrent car Tengelmann lui
payait auparavant des prix supérieurs à ceux d’Edeka. La décision d’Edeka coûta
à l’entreprise de Schulz une somme à six chiffres. Edeka est la première enseigne
de la distribution en Allemagne et pour de nombreux fabricants leur principal
client. C’est pourquoi elle obtient, la plupart du temps, de meilleures
conditions que ses concurrents.
Dans
les mois qui ont suivi la reprise de Kaiser’s Tengelmann, Edeka a affiché dans
ses nouveaux points de ventes des affiches de couleur rouge pour annoncer aux
clients qu’ils payaient maintenant leurs produits 10% de moins que « du
temps de Tengelmann ». Markus Shulz « ce sont les fabricants qui en
ont assuré le coût ».
Schulz
a choisi un bistrot pour la rencontre. Il y jette en permanence un œil sur les
tables voisines, comme pour vérifier que personne n’écoute la conversation. Car
Schulz fait quelque chose qui ne se fait que très rarement dans la
Branche : il met à disposition des chiffres, des échanges de courriers,
des annotations écrites. Il estime que les clients devraient pouvoir savoir
comment les grands distributeurs traitent leurs fournisseurs. « La plupart
des gens qui me connaissent ne peuvent pas s’imaginer ce à quoi je suis
confronté dans ma vie professionnelle ».
Et
avec Edeka Schulz a récemment vécu particulièrement beaucoup de choses. Il
dit : dans un premier temps le distributeur a imposé ses propres
conditions puis, très rapidement ensuite, ses acheteurs se sont à nouveau
manifestés avec de nouvelles exigences.
Ils
demandaient que le fournisseur participe financièrement au rachat de Tengelmann
par Edeka. Le rachat avait et allait créer des synergies. Les gens d’Edeka
expliquaient que cela profiterait aussi aux fournisseurs de l’agro-alimentaire
car les ventes allaient augmenter. Schulz indique qu’au terme des discussions
Edeka a exigé un montant à six chiffres de son entreprise. Un nouveau
vocabulaire est né à cette occasion : « bonus de mariage ».
Schulz
n’était pas le seul à devoir payer un tel bonus. Une enquête confidentielle de
l’Association allemande des Grandes Marques montre qu’au moins 37 entreprises
ont été confrontées à cette exigence d’Edeka. C’est de cette façon qu’Edeka a
manifestement essayé de faire payer par ses fournisseurs une partie de la somme
qu’il a déboursée pour la reprise de Tengelmann, somme évaluée à plus de 200
millions€.
En
fait, explique le vendeur Markus Schulz, on négocie avec les distributeurs des
accords-cadres annuels pour mise en œuvre l’année suivante. On y arrête les
prix de cession, les nouveaux produits, le placement en rayons. Ceci étant dit
Schulz, les quantités qui seront achetées restent ouvertes. Ce qui permet au
distributeur d’arrêter ses commandes à tout moment.
En
outre, dans pratiquement tous les cas, le distributeur remet la pression sur le
prix en cours d’année. Dans des entretiens ad hoc il demande par exemple à ses
fournisseurs de participer financièrement à des actions publicitaires ou de
promotion. Ou bien il exige de bénéficier des baisses de coûts, lorsqu’elles
interviennent, des matières premières mises en œuvre par leurs fournisseurs.
Mais Schulz n’a encore jamais constaté que, lorsque les prix des matières
premières des fournisseurs augment, les distributeurs se manifestent auprès
d’eux …
Markus
Shulz dit qu’il a, au finish, réussi à faire diminuer le bonus de mariage. Mais
la valeur de ce qu’il a obtenu en échange ne correspondait en rien à celle de
sa contribution. Mais il a payé. Parce que le représentant du Distributeur l’a
menacé de déréférencer ses produits. Schulz l’a consigné dans un Rapport
interne.
A la
demande de Die Zeit, Edeka prend position par écrit. Les avantages et
prestations supplémentaires liés à la reprise de Tengelmann ont été évalués
avec précision et présentés à chacun des fournisseurs. « Et sur cette base
une négociation individuelle a eu lieu avec chacun d’entre eux. Pour savoir
s’il est concerné et, si oui, à quelle hauteur ». L’entreprise n’a pas
connaissance de menaces.
De
leur côté les 37 entreprises de l’Association des Grandes Marques ont accepté
les conditions d’Edeka et ont pris les avantages « en
considération ». Il y a des offres que l’on ne peut pas refuser souligne
Andreas Gayk, responsable des rapports avec la Distribution dans ladite
association des Grandes Marques. « Avant tout quand elles viennent du
principal client ».
Daniel
Zimmer a mis en garde contre cette puissance de marché. Durant quatre années ce
Professeur de droit économique de l’Université de Bonn a présidé la Commission
des Monopoles, une structure qui conseille le Gouvernement fédéral en matière
de politique de la concurrence. Certes Tengelmann ne pesait, au niveau
national, qu’1% de la distribution alimentaire et, au final, 20% de ses points
de vente en sont allés à Rewe.
Mais
Zimmer dit : dans certaines régions du Land Bayern, à Berlin et dans le
Land Nordrhein-Westfalen où Tengelmann était particulièrement bien représenté,
la fusion a dramatiquement dégradé la situation des petits fournisseurs. Ils
ont, du jour au lendemain perdu l’alternative d’un second client. Pour le
juriste économiste se posait alors avant tout la question de savoir si
« avec sa puissance, une entreprise peut écraser ses fournisseurs contre
un mur ». Avec ses collègues, Zimmer a, durant deux mois, analysé le
marché pour, finalement, arriver à la conclusion qu’il valait mieux ne pas
autoriser la reprise de Tengelmann par Edeka.
L’Office
allemand des Cartels (Bundeskartellamt) a suivi cette recommandation. Lorsqu’au
printemps 2016 par autorisation ministérielle Sigmar Gabriel décida de ne pas
tenir compte de la décision de l’Office des Cartels, Zimmer et ses collègues
démissionnèrent de la Commission en signe de protestation.
Kaiser’s
Tengelmann n’était que le dernier épisode d’une longue série de reprises :
à Edeka appartiennent aussi les magasins Plus et ceux de l’enseigne Netto. En
tant que premier distributeur allemand, Edeka a un chiffre d’affaires annuel de
50 milliards. A Rewe appartiennent Nahkauf et Penny, au groupe Schwarz Lidl et
Kaufland. Les quatre premiers distributeurs ont, en 2016, pesé 67% des ventes
de produits alimentaires. Une étude réalisée par l’Office allemand de Cartels
montre que pour bien des produits ils pèsent en fait 84%. Les fournisseurs
n’ont donc guère le choix, les centres de décision étant moins nombreux que les
enseignes.
Edeka
n’est pas le seul à utiliser sa puissance pour imposer à ses fournisseurs des
conditions que ceux-ci estiment « unfair ». Kaufland, enseigne
appartenant à Lidl a, par exemple, en 2013, à l’occasion des 10 ans de sa
marque distributeur K-Classic, exigé de ses fournisseurs un
« cadeau » de 10% du chiffre d’affaires réalisé par chacun d’entre
eux avec des produits commercialisés sous cette marque. Cela figure tel quel
dans un courrier de trois pages, adressé à l’époque par la fédération des
transformateurs de fruits, légumes et pommes de terre (BVE) à ses adhérents.
Dans
ce courrier -dont Die Zeit a pris connaissance- qui devait servir de
« guide de négociation » aux entreprises adhérentes on peut lire
« pour le cas où le fournisseur ne l’accepte pas, on le menace de déréférencement ».
Ce qui signifie que ses produits disparaissent des rayons.
La
fédération recommande à ses adhérents, en fonction de leur situation de
négociation, soit de refuser la demande de Kaufland, soit de négocier une
contribution réduite, notant que du fait de l’asymétrie des rapports de force
il n’y a pas d’autre solution que de payer.
Kaufland
a, ensuite, réclamé aux fournisseurs 1% supplémentaire du c.a. total que chacun
d’entre eux faisait avec l’enseigne. Il s’agissait de financer une Brochure « environnement
et durabilité » qui reprendrait les logos des fournisseurs. Là aussi la
fédération a recommandé à ses adhérents de passer sous les fourches caudines du
distributeur, en essayant toutefois de négocier un montant réduit.
En
réponse à un questionnement de Die Zeit, Kaufland a indiqué attacher une grande
importance au « fairness » dans ses relations avec ses fournisseurs.
Les directives cadrant l’activité des acheteurs ne prévoyaient pas la menace de
déréférencement. Lors d’actions de promotion, les fournisseurs ne bénéficient
pas seulement d’une augmentation des quantités de leurs produits vendues, mais
aussi d’une présence accrue dans le matériel publicitaire et de promotion de
l’enseigne. Tout ceci est réputé augmenter sensiblement les coûts de Kaufland.
Ses demandes sont donc justifiées et profitent aux deux parties en présence.
Il est
vrai que les fournisseurs bénéficient, théoriquement, de prix de vente réduits
et de brochures publicitaires si les quantités vendues de leurs produits et
leur chiffre d’affaires augmente. Mais dans la réalité, ce type d’opérations
n’apportent que rarement quelque chose aux fournisseurs explique Christoph
Freitag, Directeur Général de BVE « souvent l’action leur coûte même de
l’argent ». Ceci étant, la fédération estime qu’en 2013 la plupart des
fournisseurs ont accepté les demandes de Kaufland.
Ce qui
n’empêche pas la situation juridique d’être des plus claires : sans
contreparties identifiables les distributeurs ne sont pas fondés à demander des
conditions particulières. C’est ce que stipule l’« Anzapfverbot » de
l’Office des Cartels. Ce n’est qu’en janvier dernier que la justice allemande
a, en dernière instance, tranché dans le différend qui opposait depuis des
années Edeka à l’Office des Cartels.
Les
fonctionnaires de l’Office avaient établi qu’Edeka avait enfreint le droit de
la concurrence lors de la reprise du Discounter Plus en 2008. Edeka avait non
seulement exigé à cette occasion un bonus de mariage mais avait, les années
suivantes, imposé des contributions financières pour la rénovation des points
de vente et l’élargissement des gammes de produits proposés aux consommateurs.
Edeka
voulait, en outre, bénéficier de certains prix d’achat qui avaient été
particulièrement bien négociés par Plus et ce, rétroactivement. De ce fait
l’Office des cartels a estimé qu’Edeka avait contrevenu à
l’ « Anzapfverbot ». Ce qu’a confirmé la justice.
Les
géants de la distribution en ont pris acte. Mais ils n’en ont pas retenu qu’ils
devraient dorénavant avoir avec Markus Schulz des relations de partenaires à
partenaires. Les responsables d’Edeka ont, évidemment, lu dans le détail la
prose de l’Office des Cartels dit Andreas Gayk qui a représenté l’Association
des Grandes Marques au procès. Ils ont simplement formellement adapté leurs
nouvelles exigences. Et elles ne sont pas contestables juridiquement.
Ce qu’il peut en coûter de se mettre en travers du
chemin, le géant Nestlé vient de le mesurer à ses dépens il y a quelques jours.
Edeka a édicté un arrêt des commandes pour plus de 150 produits de Nestlé avec
pour objectif d’obtenir de meilleures conditions d’achat. Le principal
distributeur allemand l’a, dans le cas d’espèce, fait en relation avec d’autres
géants de la distribution européenne, ce qui a notablement accru la pression.
Nestlé, en réponse à nos questions, a simplement déclaré que l’on regrette le
conflit avec Edeka et qu’on souhaite, dans l’intérêt des consommateurs, le
régler rapidement. Les barres chocolatées et les chewing-gums de Mars avaient,
l’an passé, également momentanément disparu des rayons d’Edeka. Et cela arrive
à de nombreux fournisseurs moins grands. Simplement cela se remarque moins car
leurs marques sont moins connues.
Dans le secteur c’est pratiquement « silence
radio ». Lorsque, mercredi de la semaine dernière, l’Association des
Grandes Marques invite à la discussion à Berlin dans le cadre de sa
« Journée de la Concurrence » sur le thème « Abus de puissance
au nom de la Demande » interviennent Andreas Mundt, le Président de
l’Office des cartels, un Avocat et deux Professeurs. La teneur de leurs
présentations est claire : la puissance de marché des enseignes de la
distribution est devenue un problème pour les fournisseurs. Mais il manque les
témoignages desdits fournisseurs sur le podium bien que des collaborateurs de
certains d’entre eux, comme par exemple Frosch et Henkel soient dans
l’auditoire. Durant des semaines l’Association des grandes marques avait, en
vain, essayé d’obtenir que l’un d’entre eux témoigne.
Il est normal que la puissance joue son rôle dans
une négociation. Ceci étant, de la part d’un certain nombre d’enseignes de la
distribution cela tourne à l’intimidation comme en attestent de nombreux
témoignages recueillis par Die Zeit. On entend alors des phrases telles que « Tu
es le plus mauvais des vendeurs avec lequel il m’ait été donné de
traiter » ou « nous n’avons absolument pas besoin de votre
produit ». Certains acheteurs de la distribution exigent les numéros de
téléphone privés des vendeurs des fournisseurs et les appellent ensuite la nuit
et durant le week-end.
La puissance des enseignes de la distribution est
particulièrement importante dans les secteurs qui sont déjà, en soi,
concurrentiels en matière de prix. Lutz, Astro, Marten : dans le secteur
de la charcuterie les fabricants de taille moyenne se sont, les uns après les
autres, retrouvés en situation de cessation de paiements explique un dirigeant
à la retraite de l’industrie alimentaire. Plus que dans les autres secteurs de
l’économie, les fabricants sont dépendants du coût des matières premières qui,
eux-mêmes, sont de plus en plus influencés par les marchés internationaux. Il
ajoute que la seule parade est de développer soi-même des marques très fortes
dont les distributeurs ne pourraient se passer. Mais dans le secteur de la
charcuterie, qui est capable de citer trois marques ?
Les distributeurs ont encore aggravé le problème
en développant, sans discontinuer, leurs propres marques que l’on ne trouve,
évidemment, que dans leurs propres points de vente. Qu’il s’agisse de
« Gut und günstig » (NDLR : « Bon
et pas cher » d’Edeka), de « Ja » (NDLR :
« Oui »), de « Rewe Bio », de « K-Classic » ces
marques signifient, pour les consommateurs, un avantage prix et, pour les
fournisseurs, une pression induite supplémentaire.
Car si les marques distributeurs appartiennent
effectivement aux enseignes de la distribution, celles-ci n’en assurent que
rarement la fabrication des produits. A la place de « produire le
produit », ils produisent le cahier des charges qui indique, par exemple,
quels épices doit contenir le salami et de quelle épaisseur doivent en être les
tranches. Et l’offre la moins chère décroche le marché.
Les fournisseurs en sont ainsi réduits à être des
prestataires de services interchangeables. L’escalade dans la diminution des
prix se fait aux dépens des fournisseurs et parfois aussi aux dépens de la
qualité. Certains fournisseurs indiquent par exemple comment ils ont alors
recours à des peaux plus fines ou à des « préparations à base de viandes »
moins chères.
L’économiste de Hamburg, Rainer Lademann,
spécialiste de la concurrence qui a fait une présentation dans le cadre de la
Journée de l’Association des Grandes Marques apporte des témoignages dans ce
sens. Lademann a, en 2012, dans le cadre d’une étude commanditée par la
Commission des Monopoles, examiné ce qu’il en est dans le secteur de
l’alimentation.
« Nous avons alors découvert de nombreux
exemples prouvant que la qualité se détériorait sous la pression conjointe de
la concentration et des marques distributeurs » dit-il. Les innovations se
sont raréfiées et les fabricants ont remplacé certains composants par d’autres,
moins chers. C’est ainsi que les noix de cajoux remplacent les pignons de pins
-qui sont plus chers - dans le pesto ou bien que l’on réduit artificiellement
les durées d’affinage des fromages ou de maturation des vins. Ceci n’est certes
pas illégal, ni dommageable pour la santé, dit Ledemann, mais le goût des
produits s’en ressent évidemment.
Chez certains fournisseurs, les marques distributeurs
peuvent peser jusqu’à plus de 90% de la production. Une situation de dépendance
presque totale. La conséquence en est une activation de la concentration côté
fournisseurs aussi. Plusieurs des fabricants de charcuterie de tailles moyennes
qui se sont retrouvés en situation de cessation de paiements l’an passé ont été
absorbés par de grands fabricants. Plusieurs l’ont été par Tönnies, le premier
opérateur et fabricant allemand de produits carnés. Si cette évolution se
poursuit, les géants se retrouveront tous seuls, face à face.
Et c’est tout au début de la filière de
fabrication et de valorisation, au niveau des matières premières agricoles, que
la pression sur les prix s’exerce le plus intensément et la concentration des
opérateurs aussi. Le producteur de légumes du Land de Pfalz, Johannes Zehfuss
peut en parler. Il a progressivement agrandi son exploitation jusqu’à 150
hectares. Ceci constitue évidemment un succès entrepreneurial mais c’est
également le résultat de la pression accrue depuis que les enseignes de la
distribution sont directement entrées dans le business des pommes de terre, des
choux, des radis et des brocolis.
De nombreux autres petits producteurs de la région
n’ont pas pu suivre. Ils ont été dépassés par les quantités requises,
l’accélération des délais de livraison et les nouvelles contraintes sans cesse
renouvelées en matière de qualité, de régionalité, de bio, de durabilité. Dans
la coopérative via laquelle notre producteur de Pfalz commercialise sa
production, le nombre de membres est passé, en 10 ans, de 500 à moins de 200.
Zehfuss qui est actif dans le cadre du DBV (NDLR : +/- FNSEA allemande), par ailleurs
député CDU au Parlement du Land Rheinland-Pfalz, souligne qu’il trouve cela
fondé que les enseignes de la distribution exigent des standards de qualité
élevés. Elles réussissent à commercer avec des produits qui sont de plus en
plus frais, de plus en plus respectueux de l’environnement, de plus en plus bon
marché « exactement ce que souhaitent les consommateurs ». Le seul
problème pour les producteurs agricoles c’est qu’ils ne sont pas rémunérés en
conséquence. Ils sont contraints de constamment investir dans de nouvelles
techniques, dans des tests, de recourir à des conseillers et consultants. D’un
côté les enseignes brandissent de plus en plus l’étendard de la durabilité, de
l’autre, elles poussent de plus en plus les producteurs agricoles dos au mur.
Et apparemment, cela ne concerne pas le seul
producteur Zehfluss. L’Association allemande du commerce des fruits a, l’an
passé, expertisé le fait de savoir si les nouvelles contraintes étaient
rentables pour les producteurs. Certes les enseignes paient généralement plus
lorsqu’elles augmentent les contraintes, mais pas assez pour compenser les
coûts supplémentaires induits au niveau des producteurs. Ceux qui profitent,
pour l’essentiel, des nouvelles certifications, ce sont les grandes
entreprises.
Il apparait que nombreux sont alors les
producteurs agricoles qui essaient, eux aussi, de transmettre la pression qui
s’exerce sur eux. Eux qui sont très exposés car tout en bout de la chaîne de
valorisation. C’est ainsi que le Parquet du Land de Pfalz enquête actuellement
sur le cas de plusieurs gros exploitants agricoles du secteur des légumes. Il
leur est reproché d’employer, en particulier pour les récoltes, des
travailleurs venus d’Europe Centrale, travailleurs qu’ils ne font pas
bénéficier du salaire minimum et des avantages sociaux qui ont cours en
Allemagne.
Cette problématique occupe à présent aussi le
Commissaire européen à l’Agriculture. « La distribution abuse souvent de
sa forte position » dit l’irlandais Phil Hogan dans son interview à Die
Zeit. « Les producteurs ont droit à une plus grande sécurité juridique ».
C’est pourquoi il pense proposer, en avril ou en mai, des dispositions
concrètes visant à établir des règles équitables, de façon à rééquilibrer les
rapports de force. Le Commissaire a commencé à se bouger sur le sujet
lorsqu’une forte majorité s’est manifestée sur ce thème au Parlement Européen.
Les Associations européennes des Distributeurs
s’activent déjà avec énergie à Bruxelles pour contrer l’initiative de Hogan et
brandissent le risque de voir remise en question la liberté de contracter. Le
Commissaire européen hausse les épaules :
« celui qui a un comportement fair n’a rien à craindre ».
20 mars 2018
lundi 19 mars 2018
9ème Forum de Berlin consacré au lait
Pour l'information de tous, notre trésorier nous propose cet article de Monsieur Philippe Jachnik, daté du 16 mars 2018.
M. Jachnik est consultant international en économie et politique laitière et conseiller du Directeur général du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière. Son article nous présente un compte rendu du neuvième forum de Berlin consacré au lait.
mardi 6 mars 2018
Assemblée Générale du 16 février 2018
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